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France Incendies dans les cités médiévales
Article fait par :Olivier Gabriel
Mis en ligne le 22/05/2023 à 11:49:35

Un fléau du Moyen Âge
La domestication du feu a été une étape majeure de l’évolution humaine. Maitrisé il est source de lumière et de chaleur, il a permis aux hommes de se chauffer, de cuire leurs aliments, de s’éclairer, de forger les métaux…
Mais qu’on perde son contrôle et sa maitrise il devient alors un vrai fléau au même titre que les épidémies, les inondations, les famines… Ainsi le Moyen Âge brule avec un effrayante régularité, en particulier les villes : Rouen par exemple, pour ne citer qu’elle, subit six incendies majeurs de 1170 à 1250, chacun détruisant plusieurs paroisses. Nous pourrions citer également Bourges, Chartes, Reims… pour nous limiter à quelques cités de France. En 1463 Toulouse brule pendant quinze jours détruisant plus de 7000 habitations !
La fréquence de ces incendies, leur ampleur et leur pouvoir destructeur s’expliquent par les matériaux de constructions des habitations et édifices, l’agencement des villes, le mode de vie et les comportements humains mais également par la faiblesse des moyens de lutte.
Les matériaux de construction des habitations
Si la pierre de taille était utilisée pendant l’Antiquité, le bois commence à la remplacer dès le début du Moyen Âge, se généralisant durant cette période pour être de nouveau remplacée par la pierre et/ou la brique à la fin de celle-ci. On le retrouve dans les planchers, les cloisons, les charpentes, les pans, les colombages, les escaliers et passerelles… avec des risques liés aux essences utilisées. Un ville de Savoie, par exemple, où le sapin est prépondérant, était plus exposée aux risques d’incendie qu’une ville du nord où le chêne était plus abondant.
Souvent des pans de bois assurent l’armature des habitations avec un garnissage en torchis, mélange d’eau, de terre argileuse et de fibres naturelles (paille, foin, crin de cheval…). Ce type de construction, dit à colombage s’est développé dans l’est de la France pour résister aux tremblements de terre 1
La couverture des habitations est végétale : le chaume 2 est très répandu.
Le bois est également utilisé sous forme de tavaillons3. Ainsi les incendies, lorsqu’ils atteignent les charpentes, se propagent aux couvertures de maisons mitoyennes et, de proche en proche, menacent un pâté de maisons, un quartier…. et plus encore.
Les fenêtres, assez rares, ne sont pas vitrées. Il faudra attendre pour cela le XVe siècle. En attendant on utilise des toiles de lin, de chanvre ou d’autres tissus, du papier huilé et parfois même des draps. Ces matériaux ne pouvaient là aussi qu’alimenter, voire aggraver un incendie, par leur combustion rapide et favoriser l’apport d’air vers les flammes en ouvrant les fenêtres aux courants d’air.
Il est clair que inflammabilité4 de l’ensemble de ces matériaux ne pouvaient que favoriser les départs de feux et l’embrasement des habitations et des édifices.
L’agencement des cités
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Rue médiévale
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Il obéissait rarement à un plan d’ensemble et la cité médiévale se caractérise souvent par des rues étroites (quelques mètres), sombres et sinueuses, avec des maisons très proches les unes des autres, qu’elles soient mitoyennes ou en face à face de part et d’autre des rues.
Là aussi cette proximité, sans coupe-feu, favorisait la propagation latérale des incendies par les bâtis ou par les couvertures, renforcées par les nombreuses passerelles traversant les rues et reliant les édifices.
Les habitations présentaient souvent par ailleurs, des encorbellements, c’est à dire que chaque étage supérieur pouvait s’avancer en saillie au-dessus de l’étage inférieur. L’avantage de cette technique était de gagner de la surface habitable supplémentaire à chaque niveau5.
C’était un mode de construction répandu qui, bien entendu, favorisait la propagation verticale du feu des niveaux bas vers les étages supérieurs.
Le mode de vie
La vie domestique
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Veillée autour du feu |
Le mobilier essentiel d’un habitat médiéval est la cheminée. Elle est utilisée pour chauffer la pièce principale, cuire les aliments, éclairer les espaces de vie… Autant dire que le feu dans l’âtre était entretenu en permanence, en mauvaise comme en belle saison. Son conduit d’évacuation, fissuré si mal entretenu, pouvait être une source d’incendie. Il était même souvent en bois enduit d’argile ! Un feu de cheminée6 pouvait donc facilement se transformer en feu d’habitation.
La cheminée ne chauffait qu’une pièce, la pièce principale, le foyer où la famille se réunissait et qui est le centre des activités domestiques7.
Il règne une faible température dans les autres pièces, comme les chambres. Si l’on souhaitait les réchauffer on pouvait utiliser un brasero, un récipient creux en terre cuite ou en métal, parfois sur roues, que l’on garnissait de braises.
Comme la cheminée, celui-ci pouvait produire des projections de matières incandescentes… et donc produire un incendie, d’autant que le bois était aussi omniprésent dans les intérieurs : plancher, cloisons, escaliers, meubles, coffres, bancs, boiseries diverses… sans parler des tentures, tapisseries, linge de maison…
Une autre source d’incendie était lié à l’éclairage : chandelles, lampes à huile… Le renversement de l’une d’entre-elles, par accident, par un habitant, un enfant ou même par un animal… sur une paillasse ou sur une couette ou encore un coussin… pouvait provoquer un départ de feu.
Bois de chauffage, fagots pour alimenter le foyer, foin pour les animaux… sont stockés dans les habitations. Parfois même, et souvent, près des cheminées !
La vie professionnelle
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Boulanger enfournant son pain (XVe siècle)
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Souvent le niveau inférieur des édifices, le rez-de-chaussée, était utilisé à des fins professionnelles ou commerciales : échoppe, boutique, atelier d’artisan… On confectionnait sur place les produits que l’on vendait sur rue. L’intérieur de ces locaux et les étalages étaient sombres et les commerçants ou artisans suspendaient à l’intérieur des lanternes et chandelles pour éclairer leurs établis, et des lanternes à l’extérieur pour éclairer leurs étals, d’autant plus que ces derniers étaient souvent surmontés d’un auvent protecteur.
Certains métiers nécessitaient des sources de chaleur pour cuire, fondre, façonner, distiller assurer la finition de produits.. boulangers, rôtisseurs, orfèvres, forgerons, petits métallurgistes, teinturiers…qui utilisaient donc des fours, des fournils, des braseros, des braises, de la vapeur…
L’incendie de Toulouse en 1463 a eu pour origine l’imprudence d’un boulanger8.
Les charcutiers9 brulaient à même la rue les soies des porcs après leur abatage… Les boulangers vendaient aux habitants aussi des allume-feux, c’est à dire de la braise pour démarrer l’allumage les foyers domestiques.
On devine les risques d’incendies dans ces ateliers-habitations dans des locaux souvent exiguës, bas de plafonds, où étaient stockées à la fois matières premières, produits et combustibles.
Les Églises et cathédrales
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Saint-Éloi éteint l'incendie de l'église Saint-Martial
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Beaucoup d’édifices religieux et presque toutes les cathédrales ont brulé au moins une fois dans leur histoire10. Même si elles ont été construites en pierres, les charpentes en bois sont nombreuses et les flammes ouvertes omniprésentes : illuminations diverses, chandelles d’éclairage et luminaires, cierges… sans compter la présence de tapisseries, tentures, boiseries diverses, bancs, statues et objets de culte en bois… Par ailleurs ces lieux sont de vrais espaces de vie et sont fréquentés jours et nuits.
Par ailleurs les cathédrales sont constamment en chantier du fait de la durée de leur élévation (près de deux siècles pour la Cathédrale Notre-Dame de Paris !) avec des travaux permanents réclamants des foyers : réchauds pour la fonte du plomb par exemple…
Faits de guerre et incendies volontaires
Les incendies consécutifs à des faits de guerre sont évidement nombreux et particulièrement destructeurs 11. Que ce soit lors de guerres privés ou d’actions de soudards12 en maraudes. Les armes incendiaires étaient fréquentes : flèches enflammées, projections de pots contenant des substances combustibles à base de soufre, de bitume ou de pétrole, le feu grégeois. Ceci explique aussi le remplacement du bois par la pierre pour éviter les risques d’incendie, et augmenter la capacité de défense des châteaux dits forts (donjons, palissades…).
Les incendies volontaires du fait de vengeances sont également nombreux. Ce crime était considéré comme un crime atroce, c’est-à-dire crime ne pouvant être ni amnistié ni prescrit. Églises et cathédrales sont quelquefois la cible d’incendies volontaires pour activer leur reconstruction malgré des oppositions qui peuvent être nombreuses du fait du coût élevé des chantiers 13. Ainsi un incendie pouvait débloquer une situation conflictuelle, incendie qui était parfois interprété comme un signe de Dieu favorable à la reconstruction !
Les conditions climatiques
Le bois et la chaume étant très utilisés on comprend qu’une saison sèche, et en particulier avec des vents secs, ne pouvait qu’augmenter l’inflammabilité de ces matériaux de construction et de couverture en les asséchant.
Par ailleurs lorsqu’un incendie se déclarait une bise ne pouvait qu’augmenter sa propagation, en particulier lorsqu’il soufflait sur les couvertures en chaume ou en bois.
On peut même souvent déduire de la propagation d’un incendie la direction dans laquelle soufflait le vent ! Ainsi c’est probablement un vent de sud-ouest qui soufflait sur Poitiers lors de l’incendie de 1487 puisque ce dernier, dont le départ s’était situé au sud-ouest de la ville, s’est propagé vers le nord et l’est.
La foudre est une cause fréquente de départs de feu et d’incendie durant le Moyen-Âge : sur le clocher d’une église, les toits des habitations, les tours de châteaux… et parfois même sur les récoltes.
Les mesures de prévention
Nous n’aborderons pas ici les moyens de lutte contre les incendies, humains et matériels, dont on disposait à cette époque et qui seront traités dans de prochains dossiers. Nous avons déjà abordé les moyens d’alerte et en particulier l’utilisation du tocsin.
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Couvre feu |
Selon les pays, les régions ou les cités différentes mesures ont été prises par les autorités pour limiter, autant que faire se peut, les risques d’incendie.
Passons en revue quelques unes d’entre-elles :
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Chaque soir le foyer devait être couvert par un couvre feu ou crève-feu, sorte de cloche, qui pouvait être en céramique. Ce dernier étouffait les flammes mais conservaient les braises. C’était le rôle de la maitresse de maison de couvrir le foyer le soir ainsi que de le maintenir en journée,14
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dans certaines régions les autorités s’assuraient que les cheminées étaient bien entretenues (balayage de l’âtre, évacuations des résidus…) et les conduits ramonés. Parfois il était même recruté des ramoneurs et des charpentiers qui contrôlaient cet entretien au cours de visites domiciliaires. Les habitants négligents devaient s’acquitter d’une amende. Les conduits dangereux étaient démolis !
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le travail de nuit en ateliers/échoppes/boutiques était interdit la nuit à la chandelle. Le bois de chauffe (bûches, fagots…) devait être stocké à une certaine distance du foyer (en général sept pieds ou plus de 20 mètres) et en proportion limitée,
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on interdit quelquefois l’utilisation de la cheminée pendant une période à risque (de Pentecôte à l’hiver à Saint-Omer par exemple),
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en ville, à l’extérieur on interdit les torches et toutes flammes vives, même pendant les événements festifs,
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on relègue les étables et les granges en périphérie ainsi que les fabriques/ateliers à risques (forges, fonderies, verreries, fours à pain…),
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toujours en ville, on interdit la construction anarchique de cabanes adossées à des habitations et faites de matériaux de récupération,
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Pont de Saintes |
Par ailleurs les matériaux de construction évoluent. Le torchis, qui remplit l’espace entre les pans de bois, est de plus en plus souvent utilisé en offrant une résistance plus importante au feu. La pierre de taille réapparait au début de XIIIe siècle. L’association des maçons prend plus d’importance au détriment peut être de celles des charpentiers et menuisiers. On avait déjà observé que souvent la propagation d’un incendie était stoppé par un édifice religieux, traditionnellement construit en pierre. En campagne on construisait parfois un mur de pierres entre deux maisons en bois et couvertes de chaume pour jouer le rôle justement de coupe-feu. Le pétrification des maisons a été très efficace, on s’en doute, pour diminuer la fréquence, la gravité et la propagation des incendies.
De plus le tuilage en terre cuite, ou l’utilisation d’ardoises, en couverture, surtout vers le XII-XIIIe siècles, a aussi considérablement fait diminuer les risques d’embrasement et de propagation. En zones rurales le chaume persiste toutefois par tradition mais aussi parce qu’il est bon marché et qu’il maintient la chaleur…
Concernant l’agencement des villes, et souvent après un important sinistre, on a reconstruit avec des rues moins sinueuses, ne serait ce que pour accélérer le cheminement des secours. On a installé plus de zones dégagées, cours, esplanades, rues principales plus larges… là aussi avec un rôle coupe-feu.
On entretient particulièrement les ponts, dans les villes installées en bordures de cours d’eau, qui sont des moyens de fuite indispensables. Ça a été le cas à Toulouse en 1463 par exemple, et plus tard à Londres lors du Grand incendie de 1666, où les ponts ont joué un rôle majeur pour la mise en sécurité de beaucoup d’habitants. On privilégie les ponts de pierre à partir du XIVe siècle15.
Sources
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Vivre en ville au Moyen-âge, Jean-Pierre Leguay, Gisserot Histoire, 2012, ISBN 9 782755 802443,
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La ville médiévale, Patrick Boucheron et Denis Menjot, Seuils Points Histoire, 2003, ISBN 9 782757 825471,
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L’incendie, Histoire d’un fléau et des hommes du feu, Michel Vernus, Cabédita Archives vivantes, 2006, ISBN 9 782882 954817.