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3-1 Rome Marine Commerce Navire Chaland Lyon MCGR :Maquetland.com:: Le monde de la maquette



 
   

 
     

 

 


3-1 Rome Marine Commerce Navire Chaland Lyon MCGR









Rome Marine Commerce Navire Chaland Lyon MCGR
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4 – L’épave du chaland gallo-romain de la place Tolozan à Lyon : approche d’une tradition régionale de construction « sur sole » en relation avec l’architecture navale maritime méditerranéenne
Rieth, Éric

1. Introduction
  • * Cet article est une version entièrement revue et augmentée du texte des actes du 5th International (...)
1Un important projet de construction immobilière au niveau des 22 et 23 place Tolozan, à Lyon, associé à un parc de stationnement souterrain, nécessita, à titre préventif, la réalisation d’une campagne de sondages d’évaluation (fig. 1). Cette opération, conduite sous la direction de Christine Becker (Service municipal d’archéologie de Lyon), conduisit à la mise au jour d’un aménagement de berge d’époque moderne (XVIIe s.), et de niveaux gallo-romains situés le long d’une rive droite fossile du Rhône. À la suite des résultats positifs de cette intervention préventive, une fouille de sauvetage programmée, également dirigée par C. Becker, fut organisée. Cette opération dura quatre mois de novembre 1989 à mars 1990 (Becker, Rieth 1995 ; Rieth 1999). C’est à l’est de l’aménagement de la berge, au pied de ses fondations, que furent découverts dans les derniers jours de la fouille les vestiges d’une épave reposant en partie sur des couches alluviales et, en partie, sur un enrochement orienté nord-sud (fig. 2).
 
Fig. 1. Plan de localisation du site de la place Tolozan à Lyon (Service municipal d’archéologie de Lyon).
Fig. 1. Plan de localisation du site de la place Tolozan à Lyon (Service municipal d’archéologie de Lyon).
Fig. 2. Situation de l’épave par rapport aux aménagements de la rive droite du Rhône (Service municipal d’archéologie de Lyon).
Fig. 2. Situation de l’épave par rapport aux aménagements de la rive droite du Rhône (Service municipal d’archéologie de Lyon).
 
  • 1 Le CNRAS, organisme du ministère de la Culture basé à Annecy à sa création en 1980, a été intégré à (...)
  • 2 Des caractéristiques importantes, comme le clouage tangentiel, ne furent identifiées qu’en laborato (...)
2La fouille de l’épave fut menée, en « très grande urgence », avec l’appui du Centre National de Recherches Archéologiques Subaquatiques d’alors1 (fig. 3). Compte tenu des délais très courts de fouille et de l’intérêt de l’épave, un prélèvement d’une section significative des vestiges a été effectué pour une analyse détaillée en laboratoire2 et pour un traitement (1990-2003) des bois par l’Atelier Régional de Conservation Nucléart (ARC Nucléart) de Grenoble en vue de leur présentation muséographique (fig. 4). Ce prélèvement en trois parties, de 1,70 m de long, 1,50 m de large et 0,90 m de hauteur, est exposé au Musée gallo-romain de Lyon-Fourvière (n° inventaire : FRV. 2007. 3. 1).
Fig. 3. L’épave en cours de fouille avec, à droite, l’ancienne rive droite (Service municipal d’archéologie de Lyon).
Fig. 3. L’épave en cours de fouille avec, à droite, l’ancienne rive droite (Service municipal d’archéologie de Lyon).
Fig. 4. Relevé de l’épave. En grisé est soulignée la partie prélevée (D. Ruff, É. Rieth)
Fig. 4. Relevé de l’épave. En grisé est soulignée la partie prélevée (D. Ruff, É. Rieth)
 
 
3Les analyses géomorphologiques menées sous la direction de Jean-Paul Bravard (à l’époque professeur à l’Université Jean Moulin, Lyon II, département de géographie), ont montré que la rive droite antique du Rhône devait se situer sensiblement au niveau de l’emplacement de l’aménagement de berge du XVIIe s. C’est donc le long de cette berge d’époque gallo-romaine que se trouvait l’épave datée des années 30 ap. J.-C. par l’association stratigraphique de tessons de céramique peinte de type « bol de Roanne » d’une part, par les analyses dendrochronologiques (Archéolabs) et les mesures d’âge au radiocarbone (Archéolabs et Centre de Datation par le Radiocarbone, Université Claude Bernard, Lyon 1) d’autre part.
Fig. 5. L’épave vue de face (Service municipal d’archéologie de Lyon).
Fig. 5. L’épave vue de face (Service municipal d’archéologie de Lyon).
Fig. 6. L’épave vue dans l’axe longitudinal (Service municipal d’archéologie de Lyon).
Fig. 6. L’épave vue dans l’axe longitudinal (Service municipal d’archéologie de Lyon).
2. Description
 
4Les vestiges de la coque préservés en connexion s’étendent sur une longueur de 7 m et une largeur de 2,40 m (fig. 5 et 6). Ils comprennent les éléments suivants :
51) Trois virures de sole en chêne, aux bords bien délignés, d’une épaisseur moyenne de 7 cm et d’une
largeur de 46 cm pour la virure V3, 50 cm pour la virure V4, et 44 cm environ pour la virure V5.
  • 3 Le bordé monoxyle de transition est aussi appelé bordage ou bouchain de transition.
62) Un bordé monoxyle de transition3 en chêne, d’une épaisseur comprise entre 8 et 10 cm. La section de cette pièce (V2) est courbe. Sa plus grande hauteur externe observée est de 47 cm au niveau de la membrure M2. L’examen de l’orientation des rayons médullaires sur la tranche du bordé monoxyle de transition montre que cette pièce a été probablement façonnée dans un quart de tronc.
  • 4 La position de ce bordage indique, en toute probabilité, que son effondrement vers l’extérieur de l (...)
  • 5 Aucune trace d’un assemblage par mortaises et tenons n’a été observée dans le can supérieur du bord (...)
73) Une virure (V1) de sole de 40 cm de large pour une épaisseur moyenne de 7 cm. Cette virure, en résineux, ne se trouvait pas dans sa position d’origine, mais rabattue à 90 degrés vers l’extérieur de la coque le long du can supérieur du bordé monoxyle de transition4. L’hypothèse d’une virure de surélévation du bordé de monoxyle de transition réalisée selon un mode
d’assemblage indéterminée (à franc-bord ou à recouvrement)5 semble la plus vraisemblable. Avec le bordé de surélévation, la hauteur totale externe de la coque serait alors de près de 90 cm.
8Ces divers éléments longitudinaux de la structure de la coque (virures de sole et bordé monoxyle de transition) sont disposés à franc-bord avec une couture de quelques millimètres de large.
94) Sept fragments de membrures ( M1 à M7) d’une largeur moyenne de 20 cm pour une épaisseur comprise entre 8 et 9 cm (fig. 7). L’extrémité supérieure de ces courbes, mal conservée, ne s’élève pas jusqu’au niveau du can supérieur du bordé monoxyle de transition qu’elle devait atteindre à l’origine. L’intervalle d’axe en axe entre chaque courbe simple, c’est-à-dire non disposée en couple affronté, est relativement régulier et se situe autour de 60 cm.
Fig. 7. Les membrures M 2 et M 3 (D. Ruff).
Fig. 7. Les membrures M 2 et M 3 (D. Ruff).
 
10L’assemblage entre les virures du fond et le bordé monoxyle de transition d’un côté, et les éléments de la membrure d’un autre, est assuré par de gros clous en fer. La tête concrétionnée des clous qui apparaît distinctement sur la face supérieure des membrures indiquent que le clouage a été réalisé à pointe perdue, de l’intérieur vers l’extérieur de la coque.
11En toute logique architecturale, la cohésion mécanique de la structure de la coque résulte du croisement et de l’assemblage, au moyen d’un clouage dense, des éléments longitudinaux de la coque (virures de sole et bordé monoxyle de transition) aux éléments transversaux (membrures) selon un principe architectural attesté sur de nombreux types de bateaux de rivière à fond plat de l’Europe de l’Ouest construits « sur sole » (Rieth 1981). Toutefois ce clouage, dont la fonction d’assemblage est architecturalement déterminante et dominante, ne représente pas le seul mode de liaison présent dans l’épave.
12En effet, deux autres modes d’assemblage ont été observés lors de la fouille de l’épave et au cours de l’étude en laboratoire sur le prélèvement (fig. 8).
Fig. 8. Relevé du prélèvement (dessin É. Rieth).
 
Fig. 8. Relevé du prélèvement (dessin É. Rieth).
13Le premier type d’assemblage est caractérisé par des mortaises affrontées, creusées dans le can de deux virures adjacentes. À l’intérieur de chaque mortaise a été chassée une languette (ou clef) en bois non chevillée (fig. 9 et 10). C’est le cas, par exemple, au niveau de la membrure M2, entre le bordé monoxyle de transition et la virure de sole V3, ou au niveau des virures V4 et V5, entre les membrures M1 et M2. Les mortaises ont une largeur moyenne de 6 cm pour une longueur de 5 cm et une épaisseur de l’ordre du centimètre. Les clefs sont longues, en moyenne, de 10 cm, large de 6 cm et épaisses d’un demi centimètre. La plupart des assemblages observés se trouve partiellement recouvert par des membrures. L’intervalle moyen d’axe en axe des assemblages est de 29 cm. On constate, donc, que le jeu des languettes dans les mortaises est faible en longueur et épaisseur, et nul en largeur, indice d’un assemblage relativement solide mais démontable. Par ailleurs, on observe que, pour l’essentiel, ces assemblages ont été effectués avant la mise en place et le clouage des membrures.
Fig. 9. Prélèvement : tenon de pré-assemblage (photo É. Rieth).
 
Fig. 9. Prélèvement : tenon de pré-assemblage (photo É. Rieth).
Fig. 10. Prélèvement : tenon de pré-assemblage (dessin É. Rieth).
Fig. 10. Prélèvement : tenon de pré-assemblage (dessin É. Rieth).
 
14Le second type d’assemblage est constitué par de petits clous carrés, d’un centimètre de section, enfoncés en biais à partir de la face interne d’une virure, et qui pénètrent à pointe perdue dans le can de la virure adjacente (fig. 11 et 12). Ainsi en est-il, par exemple, du clouage réalisé entre le bordé monoxyle de transition V2 et la virure de sole V3. L’intervalle moyen d’axe en axe des assemblages est de 29 cm, strictement identique à celui des assemblages par mortaises et clefs. Soulignons, en outre, que cet intervalle est égal à la moitié de celui séparant d’axe en axe les courbes. Ce rythme régulier reposant sur un module d’une trentaine de centimètres pourrait être interprété comme le signe d’une construction soignée.
Fig. 11. Prélèvement : clouage tangentiel (photo É. Rieth).
Fig. 11. Prélèvement : clouage tangentiel (photo É. Rieth).
Fig. 12. Prélèvement : clouage tangentiel (dessin É. Rieth).
Fig. 12. Prélèvement : clouage tangentiel (dessin É. Rieth).
 
15Avant de revenir sur l’analyse et l’interprétation de ces différentes caractéristiques de l’épave, un autre aspect remarquable doit être souligné.
  • 6 Le terme de lutage apparaît plus approprié dans la mesure où, à la différence de l’opération de cal (...)
  • 7 Étude réalisée par Odile Valansot.
16Les virures à franc-bord de l’épave de la place Tolozon nécessitent, compte tenu du joint à franc-bord de quelques millimètres de large entre les bordages, un calfatage ou, plus précisément un lutage6, des coutures. L’étude menée par le Musée Historique des Tissus de Lyon7 a mis en évidence la présence de fragments de tissu en laine tissé en armure sergé imprégnés de poix. Un tissu de même nature servait également de bouchon d’étoupe à un gros nœud traversant toute l’épaisseur du bordé monoxyle de transition V2 au niveau de la courbe M2 (fig. 13).
Fig. 13. Bouchon d’étoupe à base de tissu poissé dans un nœud (photo É. Rieth).
Fig. 13. Bouchon d’étoupe à base de tissu poissé dans un nœud (photo É. Rieth).
 
17Par ailleurs, l’analyse palynologique (Archéolabs) d’un prélèvement de ce tissu a montré que le cortège pollinique mis en évidence pouvait correspondre à l’écologie de la région lyonnaise.
  • 8 Différentes techniques sont attestées : couche de brai recouvrant l’intérieur de la coque, pose d’u (...)
18Un point important est à souligner. Ce type de lutage, à base de tissu et de poix, ne correspond nullement aux pratiques et aux matériaux traditionnels de la construction « sur sole » antique de l’Europe de l’Ouest. En règle générale, l’étanchéité des joints repose sur des cordons de mousse maintenus dans les coutures par des baguettes et de multiples petits clous et (ou) agrafes métallique (happes ou appes). Il s’agit même d’une caractéristique importante de ce type de construction navale de l’arc Alpin, et plus généralement d’ailleurs de l’Europe continentale (Arnold 1977 ; 1992a, p. 86-94). En revanche, l’usage d’un tissu associé à un enduit végétal de protection et d’étanchéité (matière résineuse fréquemment), apparaît souvent attesté dans la construction navale maritime de l’Antiquité méditerranéenne8.
19Ajoutons, pour clore cette rapide description de l’épave, l’existence de quelques pièces particulières, notamment d’un étrier en fer plat de 4 cm de large cloués sur le can supérieur du bordé monoxyle de transition V2 au droit de la membrure M2 (fig. 14).
Fig. 14. Étrier en fer plat (dessin É. Rieth).
Fig. 14. Étrier en fer plat (dessin É. Rieth).
 
3. Analyse et interprétation
20Les vestiges modestes de l’épave de la place Tolozan de Lyon – un fragment de sole et un élément de flanc – appartiennent à un chaland de rivière dont le système architectural « sur sole » (au niveau conceptuel et structural) repose sur une coque monoxyle-assemblée. Cette architecture, rappelons-le, est qualifiée selon les auteurs de « celtique, romano-celtique, gallo-romaine », voire de « continentale ». Sans développer ici les arguments d’ordre historique avancés pour justifier l’une ou l’autre des expressions, nous préciserons, cependant, que les expressions de construction « romano-celtique » ou « gallo-romaine », cette dernière ayant notre préférence dans le cas de l’épave de la place Tolozan, renvoient à deux notions : l’une d’ordre chronologique, celle du monde romain, l’autre de dimension géographique, celle des territoires de la Gaule.
21Les caractéristiques « primaires » les plus signi-
ficatives de cette architecture « sur sole » monoxyle-assemblée de tradition « gallo-romaine » sont les suivantes :
  1. Un bordé monoxyle de transition (avec ou sans bordé de surélévation).
  2. Un fond plat, sans quille, formant sole et comprenant des virures disposées à franc-bord.
  3. Un assemblage des virures de sole et des membrures, varangues et courbes, au moyen de gros clous en fer dont la pointe est souvent rabattue. Ce réseau dense de clouage est à la base de la cohésion et la résistance de la structure monoxyle-assemblée.
  4. Une étanchéité des joints par des cordons de mousse maintenues par des baguettes, des clous, et (ou) des petites ferrures en forme de cavalier (happes ou appes).
  5. Une emplanture transversale de mât aménagée dans une varangue.
22Ces caractéristiques architecturales « primaires » sont considérées comme révélatrices de pratiques constructives particulières aux chantiers navals de la Gaule « de l’intérieur », celle des fleuves, des rivières et des lacs d’une part et antérieures à la romanisation et à une influence de la culture technique méditerranéenne d’autre part.
  • 9 Si des études sur les épaves de Zwammerdam, de Pommeroel, de Bevaix ou d’Yverdon notamment avaient (...)
23À l’époque de la découverte de l’épave de la place Tolozan, il y a vingt ans, seules quelques épaves antiques de bateaux de navigation intérieure répondant à ces caractéristiques architecturales « primaires » avaient été fouillées et étudiées en Suisse, aux Pays-Bas et en Belgique principalement9.
24En France, la seule attestation de bateau fluvial antique connue à l’époque de la fouille de l’épave de la place Tolozan était celle de la Fontaine-sur-Somme, près d’Abbeville (Somme), qui remonte à 1808, et dont la datation gallo-romaine, par la nature de son contexte archéologique, est à considérer avec une certaine prudence (Arnold 1978). C’est dire tout l’intérêt que représentait à l’époque de sa découverte le fragment de bateau de Lyon daté des années 30 ap. J.-C. Il s’agissait à n’en pas douter d’une trouvaille d’importance pour la connaissance de la batellerie antique de la Gaule en dépit de la modestie des vestiges préservés de la coque et des conditions difficiles de la fouille, conditions de travail peu favorables à une étude détaillée in situ.
25Cet intérêt de l’épave se trouvait renforcé par certaines caractéristiques architecturales qualifiables de « secondaires » que l’on ne retrouvait pas dans les autres épaves antiques monoxyles-assemblées de construction « sur sole » fouillées dans les années 1990.
26En premier lieu, l’épave de la place Tolozan était, avec celle de Druten (IIe s. ap. J.-C.), aux Pays-Bas (Lehmann 1978) l’une des rares à présenter un bordé monoxyle de transition de section courbe rattachable au type B1 pour l’épave de Lyon et B2 pour l’épave de Druten de la typologie établie par E. Kentley et R. Gunaratne (Kentley, Gunaratne 1987, p. 45-46).
27En second lieu, à l’assemblage croisé, qualifiable de « traditionnel », entre les éléments longitudinaux de la coque à fond plat – virures de sole, bordé monoxyle de transition, bordé de surélévation – et les éléments de la charpente transversale – les courbes – solidement cloués se greffait un deuxième type d’assemblage localisé au niveau des cans des virures et réalisé au moyen de mortaises et de languettes d’une part, et de petits clous enfoncés obliquement d’autre part.
28Dans l’épave Zwammerdam 6 (150-225 ap. J.-C.) par exemple, le premier bordage des flancs avait été assemblé au bordé monoxyle de transition par un clouage tangentiel régulier, chaque clou étant enfoncé dans un avant-trou de forme tétraédrique, et également, mais d’une façon très ponctuelle, par un assemblage par mortaises et tenons (de Weerd 1988, p. 48). Le clouage tangentiel se retrouve également dans l’épave Zwammerdam 2, mais d’une manière très isolée. Il est intéressant de rappeler, à propos de cette épave Zwammerdam 2, le commentaire de B. Arnold soulignant que « …ce chaland présente de nombreuses particularités résultant, s’il est gallo-romain, d’une forte influence exogène, à moins qu’il ne s’agisse d’une construction romaine » (Arnold 1992b, p. 79).
29Si, donc, le clouage tangentiel n’apparaissait pas exceptionnel dans le contexte de cette architecture « sur sole », la présence d’assemblage par clefs non chevillées et mortaises l’était beaucoup plus. Tout aussi peu fréquent était, au demeurant, l’emploi de courbes simples à la place de courbes affrontées disposées par couple. Ajoutons, enfin, à ces caractéristiques particulières le mode d’étanchéité des bordages de l’épave de la place Tolozan au moyen de tissu poissé.
30La présence dans l’épave de la place Tolozan de ces éléments que l’on pouvait considérer comme « atypiques » était interprétable, au regard de la connaissance que l’on avait dans les années 1990 de cette construction navale fluviale, de deux points de vue différents, l’un de dimension technique, l’autre d’ordre historique. Avant de les discuter, une remarque essentielle doit être faite. Compte tenu de l’état de conservation très partielle de l’épave, cette interprétation avait été avancée à l’époque, avec prudence, uniquement comme une hypothèse de recherche.
  • 10 À titre de comparaison, cette fonction de blocage longitudinal des virures est bien mise en évidenc (...)
31Examinons le premier niveau d’interprétation, celui d’ordre strictement technique, en relation avec la construction du chaland. Comme nous l’avons déjà souligné, ce sont les membrures fixées par de gros clous en fer aux éléments longitudinaux de la coque (virures de sole et bordé monoxyle de transition) qui étaient mécaniquement déterminantes dans la cohésion et la rigidité d’ensemble de la structure de la coque. Dans ces conditions, il semblait techniquement envisageable que les assemblages, structurellement secondaires, par mortaises et clefs non chevillées d’un côté, et petits clous enfoncés obliquement de l’autre, n’avaient, en fait, qu’une fonction de pré-assemblage provisoire lors de la construction de la coque, avant la mise en place des membrures et leur clouage aux virures et au bordé monoxyle de transition. Ce pré-assemblage semblerait servir, principalement, à éviter un déplacement longitudinal des virures de sole lors des premières séquences de la chaîne constructive10. Compte tenu de l’importance conceptuelle et structurale de la sole dans ce type de construction, il apparaît effectivement très important de bloquer les virures de sole. Rappelons, par ailleurs, que cette interprétation du pré-assemblage rejoignait celle proposée par B. Arnold à propos du clouage tangentiel et des goujons métalliques enfoncés dans le can de chaque demi-coque de l’épave gallo-romaine Yverdon 2 (Arnold 1992b, p. 26).
32Considérons à présent le second niveau d’interprétation, celui d’ordre historique. Est-il besoin de rappeler que l’assemblage systématique des bordages à franc-bord par un réseau de mortaises, languettes et chevilles, représente l’une des caractéristiques majeures et l’un des marqueurs archéologiques de base de l’architecture navale maritime de l’Antiquité de tradition spécifiquement méditerranéenne ? Le système de construction « sur bordé premier » de cette architecture, associé à une charpente longitudinale reposant sur une quille, est fondamentalement différent de celui observé dans l’épave de la place Tolozan.
33Au regard de cette caractéristique de la construction navale antique méditerranéenne avait été avancée, à titre d’hypothèse de travail, que le procédé de pré-assemblage par mortaises et clefs non chevillées et, dans une moindre mesure par clouage tangentiel d’une part, et le recours à un mode d’étanchéité des coutures à base de tissu et de poix d’autre part, pouvaient être envisagés comme des indices d’une possible influence de techniques maritime d’origine méditerranéenne sur des pratiques de construction navale fluviale de tradition régionale, en l’occurrence celles limitées au bassin hydrographique « Rhône-Saône ».
  • 11 M.D. de Weerd s’appuie, en particulier, sur une correspondance qu’il considère comme régulière et s (...)
34Si, dans les années 1990, l’hypothèse d’une telle influence semblait pouvoir être raisonnablement proposée, à titre de direction de recherche, elle ne rejoignait nullement, il faut le souligner, les conclusions de Maarten de Weerd considérant que : « ... the pre-Roman native prototypes of the so called Celtic shipbuilding tradition are virtually non existent. The big Roman planked craft in Central and Western Europe represents a new technology directly imported from the Mediterranean ... » (de Weerd 1988, p. 43). Notons que cette position se retrouve dans la récente et remarquable publication de l’épave du XIV e s. de Kippenhorn (lac de Constance) dont l’auteur, Dietrich Hakelberg, avec d’autres arguments que ceux avancés par M. de Weerd11 , plaide en faveur de la « romanité » de l’architecture « sur sole » monoxyle-assemblée considérant notamment que « The transition strakes are possibly a Roman invention that already found use in the 2nd century BC for the construction of robust and extremely stable inland vessels for grain transport, but also by Roman hydraulic engineeering specialists or caissons for the construction of bridge piers (Châlon-sur-Saône). The ship finds at Chalon-sur-Saône, Druten, Lyon-Place Tolozan, Mainz-Kappelhof, Pommeroel, Woerden, Xanten and Zwammerdam, which can in part be reconstructed to lengths of over 40 m, appear to be standardized in constructional details » (Hakelberg 2003, p. 184).
35De notre point de vue, ces techniques particulières de pré-assemblage et d’étanchéité observées dans l’épave de la place Tolozan devaient être essentiellement interprétées comme d’éventuels apports, secondaires, à une tradition de construction navale fluviale pré-existante à la colonisation romaine, tradition autochtone, culturellement limitée au bassin régional « Rhône-Saône ». Ces apports de tradition maritime Méditerranéenne étaient liés à la romanisation de la Gaule.
4. Conclusion
36Au terme de cette étude de l’épave gallo-romaine de la place Tolozan de Lyon, plusieurs questions demeuraient, et demeurent toujours sans réponse. Elles portent sur les dimensions d’origine du chaland, le mode de fixation du bordé de surélévation, l’origine de la construction, les conditions d’abandon du bateau le long d’une berge …
37En dépit de ces interrogations, les vestiges modestes de cette épave de la place Tolozan de Lyon semblaient permettre de contribuer à une « autre » lecture de la batellerie antique de la Gaule. Depuis 1990, d’autres épaves de chalands gallo-romains, notamment ceux découverts sur le site du Parc Saint-Georges à Lyon, en bord de Saône, ont permis de confirmer, d’approfondir et de compléter cette première « autre » lecture de l’architecture navale fluviale gallo-romaine que nous avions prudemment esquissée il y a une vingtaine d’années.
 
 
 
   


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